Écrivain, vedette de music-hall, journaliste, première femme à recevoir en France des funérailles nationales... Les différentes facettes de la vie de Colette témoignent de son goût personnel pour l'alliance de contraires qui chez elle n'en sont pas. C'est le fil de cette vie riche et intense que tire Emmanuelle Lambert dans un portrait littéraire illustré par les photographies d'Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Gisèle Freund, Lee Miller et Irving Penn entre autres. Elle nous y invite à relire l'oeuvre et la vie d'une icône, l'une des plus grandes stylistes du siècle dernier.
Nombreuses sont les lectrices pour qui Colette aura été un modèle, parfois une confidente, souvent même une source d'inspiration sur les voies de l'émancipation et de la création. Les lettres qu'elles lui adressèrent, leurs innombrables souvenirs et témoignages forment ici la matière d'un portrait inédit de l'écrivaine. Certaines de ces «belles écouteuses» sont restées dans l'ombre de son oeuvre. D'autres sont devenues célèbres, à l'instar de Simone de Beauvoir, qui l'admirait au point d'en faire une source capitale de son essai Le Deuxième Sexe, de Marguerite Yourcenar, de la star Marilyn Monroe, qui possédait ses romans, ou encore d'Audrey Hepburn, qui doit sa carrière à la romancière - sans oublier la jeune Françoise Sagan, enhardie par la prose de son aînée. Le pouvoir des mots, leur enchantement nourrissent ce vagabondage littéraire ordonné par l'un des meilleurs spécialistes de Colette.
Le discours sur les femmes est aujourd'hui un territoire battu en tous sens, labouré par une histoire des femmes en pleine expansion. Pourtant, le féminisme en France continue de prendre un air de tranquillité, de mesure ou de timidité selon qu'on en ait. Il n'est pas difficile de faire le constat de cette modération:les femmes françaises résistent aux variétés extrémistes du féminisme, et elles n'ont pas abandonné l'espérance de négocier un rapport heureux entre les différences et l'égalité.C'est cette singularité française qu'explore Mona Ozouf, en donnant à entendre «les mots des femmes», ceux qu'elles ont choisis elles-mêmes pour décrire la féminité. Ainsi se succèdent, dans un registre féminin du temps, les voix de Madame du Deffand, Madame de Charrière, Madame Roland, Madame de Staël, Madame de Rémusat, George Sand, Hubertine Auclert, Colette, Simone Weil, Simone de Beauvoir. Toutes illustrent les contraintes de l'existence des femmes, mais plus encore la diversité inventive de leurs cheminements.
Pourquoi Colette ? Un grand écrivain, c'est aussi un écrivain qui crée des mythes, qui renouvelle notre mythologie. « Créer un poncif, c'est le génie », disait Baudelaire. Colette a créé quatre mythes : Claudine; Sido, Gigi, et Colette, elle-même, grand écrivain national, monstre sacré. Admirée par Simone de Beauvoir, pionnière de la transgression et de la provocation, elle fait souffler dans ses romans ce vent de liberté qui nous manque tant aujourd'hui. Antoine Compagnon décline toutes les facettes de Colette, des plus connues ou plus secrètes. De Claudine, sa première héroïne, dont son mari, Willy, s'appropria la paternité, signant de son propre nom les textes de son épouse et récoltant le succès et l'argent à sa place. Sido, inspirée par sa propre mère, sans doute sa plus belle invention romanesque. En passant par Gigi, son double littéraire charmante, légère, heureuse en amour et en mariage - à l'opposé de sa créatrice qui fuira « l'homme, souvent méchant » et trouvera refuge auprès des femmes. De sa Bourgogne natale à la présidence de l'académie Goncourt - elle qui n'avait aucun diplôme -, Colette ne fut jamais là où on l'attendait et emmena la littérature là où personne d'autre n'avait osé aller. Plus accessible que Proust, plus moderne que Gide, Claudel ou Valéry, Colette réussit la prouesse d'être à la fois lue dans les écoles et d'avoir conçu une oeuvre toujours aussi sulfureuse. Lire Colette aujourd'hui, c'est embrasser le XXe siècle dans toute son extravagance, grâce à un style qui n'a pas pris une ride.